Quy a-t-il de commun entre ce
visage aristocratique, aux traits acérés, comme poli
par le temps - comme si cet incessant travail sur
lui-même, qu'il n'a cessé d'accomplir, avait fini par
en révéler la pointe la plus fine, et la plus dure -,
et la physionomie conquérante et passionnée, altière
et brouillonne de celui qui, adolescent, rêvait de
devenir le premier dans la république des lettres ? Qui
se souvient de cet autre visage, peu avenant et presque
inquiétant, celui de cet «Arsène Lupin» qui, selon le
mot de Pierre Mauroy, prenait d'assaut le Parti
socialiste à l'occasion du fameux congrès
d'Epinay-sur-Seine ? Comme s'il ne lui avait pas suffi de
brouiller ainsi les pistes - une image, une physionomie,
un homme pour chaque époque -, le personnage a joué
constamment des multiples touches d'un clavier
immense, et à ce jour inégalé, dans la sphère
politique s'entend : regard matois quand il s'agissait
d'exprimer l'astuce, illade assassine, éclat
métallique aux instants de feinte colère, lippe
maussade ou gourmande, front rembruni ou lumineux selon
que l'instant l'exigeait; mais aussi de rarissimes
instants d'abandon, où le visage enfin détendu
traduisait l'élévation d'un esprit fin et le plaisir
délicat d'un homme de culture ; et, pour finir, ces
coups d'oeil en biais, aussi brefs et durs qu'un rayon
laser, marque ultime d'une absence totale d'indulgence
pour ses semblables, confinant presque à la
méchanceté, comme s'il avait non plus de Gaulle ni
même la droite française, mais bien le monde entier
contre lui ! Mais le plus étonnant restera sans doute le
masque césarien que se composa cet apôtre de la
démocratie libérale.
Nous y voilà : Dr
Jekyll et Mr Hyde ? Inévitablement surgit le premier des
clichés, devenus si nombreux qu'on s'y perd un peu. Les
multiples visions qui ont été proposées de François
Mitterrand sont en effet si diverses et variées que
chacun a pu y trouver matière à conforter ses propres a
priori. Il n'y a qu'à puiser dans ce véritable
self-service.
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