Un
jour de 1988, on lui demanda de commenter les affiches de sa campagne présidentielle
de 1965 qui le représentaient, en gros plan devant des pylônes
électriques (ceux-là mêmes qu'EDF enterre aujourd'hui
pour le plus grand bien du paysage), avec la légende suivante :
« François Mitterrand, un président jeune pour une
France moderne » ! « Eh bien, je referais volontiers les mêmes
affiches, dit-il en substance, mais avec la mention suivante : François
Mitterrand, un président rassis pour une France quis'est modernisée
» !
Comme l'explique brillamment le philosophe André Comte-Sponville,
la société française redécouvre à son
tour des valeurs conservatrices, précisément celles qui sont
apparues dans l'ordre politique au cours des dix dernières années.
L'exemple le plus frappant est bien sûr celui de l'écologie.
Qu'est-ce que l'écologisme sinon un mouvement de préservation,
donc de conservation, de la nature ? A l'origine, l'écologie plaide
d'ailleurs pour le statu quo, quand elle ne théorise pas la
« croissance zéro ». Mais le débat, tout
aussi grave, qui a surgi à propos des manipulations génétiques
et des sciences de la production du vivant nous conduit, avec le professeur
Jacques Testart, à l'idée qu'il faudra bien, à un
moment ou à un autre mettre des barrières pour préserver,
conserver l'espèce humaine elle-même. En histoire, l'apparition
du mouvement dit « révisionniste », appuyé par
un fort courant d'extrême droite, conduit en retour à un combat
pour la mémoire. D'une façon plus générale,
d'ailleurs, la mémoire prend le pas sur l'utopie dans le discours
de la gauche, comme si celle-ci s'appuyait à son tour sur la valeur
du passé et de l'histoire, thèmes autrefois de droite. La
culture contemporaine, enfin, est dominée par la découverte
du patrimoine, qui est un peu l'homologue historiciste de l'écologie.
A la différence des idéaux de la génération
de mai 1968, il ne s'agit plus de « faire du passé table rase
», ou de « changer la vie », comme le proclamait le programme
socialiste des années 80, mais bien de conserver, de préserver.
Transformer, conserver : pour François Mitterrand l'impératif
varie selon les moments, selon la conjoncture, selon la situation politique.
Pour lui, un homme politique doit afficher quelques grands principes, pour
signifier à l'opinion où il se trouve (« Voyez qui
m'attaque pour savoir si je suis de droite ou de gauche », disait
déjà Edgar Faure), le reste relève de l'art de la
navigation ; et quand on vous oppose les chemins de traverse, invoquez
ces grands principes d'autant plus commodes qu'ils sont vastes et généraux,
pour attester que le cap est bien tenu ! Ainsi François Mitterrand
veut-il sans cesse convaincre qu'il est bien une grande figure de la gauche,
qu'il n'a cessé d'incarner le même combat (« Voyez qui
m'attaque »...) et qu'il est toujours habité du même
idéal. Si la ficelle paraît désormais un peu grosse,
c'est qu'il est fondamentalement l'homme d'une époque où
l'idéologie était maîtresse du monde ; et lui-même
était passé maître dans l'art de l'orchestration du
combat idéologique. Paradoxe d'ailleurs, lorsque l'on sait qu'il
n'affectionne que les romans et a peu de goût pour les traités
de philosophie politique ; mais il fait preuve d'un véritable talent
dans ce domaine. |