Il
n'est nul besoin de "démoniser", a posteriori, François Mitterrand
et d'en faire un thuriféraire de Vichy, au nom d'une reconstruction
malveillante autant qu'inutile. La réalité fut plus simple,
plus naturelle : sa vision de l'intérieur du régime correspondait
à celle de ses camarades, qui, hommes de droite pour la plupart,
devaient avec lui fonder un réseau de résistance très
actif. Pour eux, l'ennemi, le collaborateur, c'était Laval; le danger
venait de l'entourage du chef du gouvernement et non du chef de l'Etat.
En revanche, la personne du maréchal incarnait une certaine légitimité,
et le sentiment qui étreignait à ce moment-là le futur
résistant était non la révolte, mais bien le chagrin
et la pitié. Episode à ses yeux désolant de l'histoire
du pays, il n'a pas donné envie à François Mitterrand
de jouer les procureurs, là où la culture gaulliste voyait
et dénonçait systématiquement les traîtres.
Fonctionnaire de Vichy, François Mitterrand le fut donc, protégé
par un ami de la famille, journaliste, Gabriel Jeantet, qui appartenait
au cabinet du maréchal. Décoré de la francisque aussi,
comme d'autres qui prirent comme lui, dès la fin de l'année
1942, le chemin des maquis, celui d'une résistance authentique,
qui ne fut pas bureaucratique mais bel et bien combattante.
A cette hostilité de départ réciproque avec les
gaullistes s'ajouta ensuite un conflit personnel avec la nièce du
général, Geneviève Anthonioz. De Gaulle aimait beaucoup
cette femme, qui siégeait avec son
association de femmes déportées, à la Libération,
dans un immeuble de la rue Guynemer qui avait été réquisitionné.
Mais voilà que François Mitterrand et un autre grand résistant,
Henri Frenay, usèrent de leur influence pour obtenir que l'évêché
de Paris récupérât cet immeuble, dès 1946. Or
parmi les locataires de l'évêché figurèrent
promptement deux membres du gouvernement, Henri Frenay et François
Mitterrand ! Pour cette association, et pour Geneviève Anthonioz,
c'était une faute impardonnable. Elle s'ajouta au contentieux qui
opposait Mitterrand et de Gaulle.
Cela n'empêcha pas François Mitterrand de devenir le plus
jeune ministre de la République renaissante. Au lendemain de la
guerre, pourtant, il n'était pas commode de faire carrière,
pour un jeune homme qui avait pris goût à l'ambition politique.
C'était même bien difficile si l'on ne fréquentait
pas les cathédrales, celle du Parti communiste, au meilleur de lui-même,
ou celle du gaullisme, qui partout triomphait. Réfractaire au communisme,
opposé au général, il n'était pas davantage
tenté par les autres partis, sortis de la guerre en piteux état
: la SFIO (Section française de l'Internationale ouvrière)
était trop à gauche, et le MRP (Mouvement républicain
populaire) trop démocrate-chrétien, expression pour laquelle
François Mitterrand a toujours nourri une réelle aversion,
de même qu'il a toujours tenu en piètre estime les représentants
de ce mouvement, qu'ils se nomment Jean Lecanuet ou, plus tard, Pierre
Méhaignerie. |