Mais
rien n'interdit de constater que si sa présidence a été
un succès personnel pour François Mitterrand, les années
d'exercice du pouvoir ont été globalement un échec
pour la gauche. D'un côté, l'achèvement incontestable
d'une aventure personnelle, de l'autre, une défaite collective pour
l'idéologie dont il apparaissait comme le grand prêtre.
Depuis le moment où François Mitterrand a rêvé
de conquérir le pouvoir, il a fait preuve de son aptitude à
se hisser à la fonction suprême, ainsi qu'à se montrer
à la hauteur de celle-ci, mais les idées qui lui ont permis
d'accéder au sommet ont été balayées par l'exercice
du pouvoir. La culture d'opposition socialiste, dont il était l'oriflamme,
projetait les fantasmes du XIX siècle. Celle du monarque républicain
l'a conduit essentiellement à s'adapter au temps qui vient - «
Je prends l'Histoire comme elle vient », disait-il -, au besoin en
utilisant les armes du vaincu, en adoptant la politique de ceux qu'il avait
électoralement défaits, en validant et en faisant siens les
choix qu'il avait combattus. François Mitterrand a donc exorcisé
les illusions de ceux qui l'ont aidé, entouré, porté
au pouvoir.
Il a sculpté sa propre silhouette sur un socle libéral
et européen, cependant qu'achevaient de se disperser les cendres
des textes de François Mitterrand l'opposant, l'auteur du Coup d'Etat
permanent. François Mitterrand fut donc le triomphateur politique
de ses adversaires, en même temps que le vainqueur idéologique
de ses amis .
Sans doute cet étrange destin est-il dû en partie à
ce que François Mitterrand a
du gouverner en un temps de fortes mutations. Il a donc « géré
le capitalisme » de son mieux. En fait de capitalisme d'ailleurs,
il ne faut jamais oublier que la France vit dans un système dans
lequel le principe est bien celui du marché, mais qui continue de
prélever, pour le redistribuer, près de la moitié
du produit national. Si l'on veut caractériser le parcours idéologique
du mitterrandisme, il suffit de
prendre l'exemple des nationalisations et du secteur public. Le candidat
Mitterrand les avait présentées comme l'élément-clé
du changement, symbole de la « rupture » et levier principal
d'une transformation radicale de l'économie. 1981 : le président
nationalise beaucoup (les banques et les assurances) et, surtout, il nationalise
pour contrôler. Il veut instaurer un contrôle politique sur
l'establishment industriel et financier qui assurait jusqu'alors à
droite sa mainmise sur le capitalisme français. En nationalisant
Paribas et Suez, le président croit connaître l'ivresse de
qui saisit le coeur de ce capitalisme. 1984 : alors que Pierre Mauroy achève
de se battre sur la « crête des deux millions de chômeurs
», les nationalisations sont présentées comme le moyen
de sauver l'industrie française par le renouvellement de ses dirigeants
et par des moyens accrus dispensés par l'Etat.
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