Car
elle (il s'agit de celle qui deviendra la première speakerine de
la télévision, Catherine Langeais) a rompu pendant sa captivité
: probablement parce que, âgée de dix-sept ans, elle avait
tout simplement peur de la passion de ce jeune homme enflammé. Et,
s'il s'évade, c'est moins pour reprendre le combat que pour tenter
de la retrouver. Ce choc de la trahison est considérable, car celle-ci
va devenir l'obsession de toute une vie publique. Cet épisode révèle
également un très grand courage physique, qu'il renouvellera
pendant sa période de Résistance, en même temps qu'un
ascendant réel sur un cercle beaucoup plus large que celui des étudiants
du « 104 », qui appartenaient au même milieu social,
puisque cette fois, à travers la cohorte des prisonniers, il s'étend
à bien d'autres catégories.
Le moment est donc important, car il lui donne conscience qu'il peut
exercer et utiliser l'ascendant qu'il sait créer en sa faveur. Les
évasions, sa Résistance, sa blessure même seront pourtant
mises en doute.
Car rien ne lui sera épargné. De quoi lui faudra-t-il
bien se défendre ?
Que devra-t-il prouver au lendemain de la Libération, comme
tout au long de sa vie publique ? L'impossible ; c'est-à-dire la
pureté de ses intentions, tout simplement.
C'est là qu'intervient le second moment-clé de son existence
: l'expérience ministérielle. Celui qui devait être
onze fois ministre sous la IV République,
de janvier 1947 à mai 1957, sous la direction de présidents
du conseil aux couleurs socialistes (Paul Ramadier et Guy Mollet), radicaux
(André Marie, Henri Queuille, Edgar Faure, Pierre Mendès
France), MRP (Robert Schuman), gaullo-centriste (René Pléven),
centre droit (Joseph Laniel), celui qui refusa d'en partir, au pire moment
de la guerre en Algérie, alors que la démission était
monnaie courante, celui-là entra dans la vie politique par un conflit
avec de Gaulle qui devait déterminer son destin.
Et quel conflit, en effet ! Il fallait qu'il fût bien rude pour
conduire le résistant Mitterrand - le capitaine Morland - à
s'abstenir de participer aux réjouissances de l'Hôtel de Ville,
le 25 août 1944, jour de la libération de Paris, parce qu'il
traitait déjà de Gaulle d'usurpateur, et le président
Mitterrand à ce record de cérémonie commémorative
qui vit le chef de l'Etat consacrer douze minutes, le temps de parcourir
le chemin qui sépare l'Elysée de l'Arc de triomphe pour y
déposer une gerbe, lors de la commémoration du cinquantième
anniversaire de l'appel du 18 juin, en passant par ce qui restera comme
la bible de l'antigaullisme, à savoir Ma part de vérité,
l'ouvrage polémique écrit par l'opposant Mitterrand quatre
ans après sa candidature à l'élection présidentielle
contre de Gaulle.
Opposition viscérale à tout ce qui ressemble au gaullisme,
et dont on peut se demander si elle ne fonde pas tout l'engagement politique
du Mitterrand combattant de la gauche. |