Comment
choisir ? Comment tenter d'apercevoir la vérité d'un homme
aussi complexe ? Bien que l'exercice du pouvoir soit un sérum de
vérité, il serait vain de continuer de décrire un
personnage à facettes. Bien sûr, il a été cette
oscillation permanente, désormais bien connue. Il lui fallaitd'abord
porter la croix de sa fonction. Elu président par une majoritécontre
une minorité, il aspirait à incarner la France et à
représenter tousles Français. Et il alla de l'une à
l'autre obligation. Plus que nul autre, il fonctionnait avec deux hémisphères
cérébraux, l'un pouvant contredire ou contrarier l'autre.
D'un côté, le principe de mouvement ; de l'autre, celui de
réalité. D'un côté, la volonté d'être
un moment de l'histoire de France, écrire l'histoire de son pays
; de l'autre, le souci d'être le philosophe de sa propre action,
d'en être le premier observateur, comme s'il bâtissait lui-même
l'imaginaire de son royaume.
Mais cette explication est elle-même insuffisante. Car il y a
bien eu plusieurs personnes dans le même homme. Il avait d'ailleurs
lui-même séparé les différents compartiments
de sa propre vie, qu'ils fussent publics ou privés, par tant de
cloisons étanches qu'à la fin il ne s'y reconnaissait plus
nécessairement. Il était en perpétuelle représentation,
y compris devant lui-même ; lui qui était tant préoccupé
de se construire chaque jour avait progressivement glissé vers une
reconstruction permanente et complaisante de sa propre réalité.
Au reste, ne s'était-il pas montré inclassable dès
le départ, dès cet article contre les accords de Munich,
qu'étudiant il publia dans la Revue Montalembert, éditée
par les élèves du 104 rue de Vaugirard, contre le sentiment
dominant de la petite-bourgeoisie catholique et bien-pensante dont il était
issu et dont les enfants peuplaient ce foyer tenu par des pères
maristes. Tout droit sorti du collège Saint-Paul d'Angoulême,
où il reçut l'éducation et l'instruction de «
braves curés de campagne », curés diocésains
et prêtres séculiers, et non, comme on le croit, chez «
les bons pères », François Mitterrand avait débarqué
au Quartier latin à l'automne 1934, à l'âge de dix-huit
ans, logeant au « 104 », foyer qui par nature ne risquait pas
d'héberger de dangereux révolutionnaires.
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